Un atterrissage en douceur
Pour des volontaires comme Sami Rahikainen, il est crucial d’établir une relation de confiance avec les migrants qui arrivent dans un nouvel endroit à la recherche d’une toute nouvelle vie. Voici son histoire.
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Perturbateurs ou intervenants expérimentés, ils sont de plus en plus nombreux à élever leur voix pour faire valoir que l’écosystème humanitaire actuel n’est plus adapté, n’est plus en mesure de répondre aux besoins, et encore moins de préparer l’avenir.
Les changements climatiques, les migrations massives, des catastrophes naturelles plus intenses et plus fréquentes, des conflits prolongés, les menaces pour la cybersécurité, les pandémies émergentes, la famine… Dans environ dix ans, les défis d’aujourd’hui seront exacerbés par le réchauffement du globe à hauteur d’un degré, l’augmentation de la population mondiale à hauteur d’un milliard de personnes, et l’accroissement rapide des inégalités sur les plans des ressources et des richesses.
Si le système humanitaire ne fonctionne pas aujourd’hui, il va falloir s’accrocher…
Pour être tout à fait juste, il convient de dire que le système s’efforce de se réparer. À la suite du Sommet humanitaire mondial de mai 2016, les responsables politiques et humanitaires ont fait le serment et pris l’engagement de placer l’humanité au premier plan, de prévenir et d’éradiquer les conflits, d’atteindre les personnes les plus vulnérables, d’atténuer et de réduire les effets des catastrophes de grande ampleur, et d’appliquer le droit international humanitaire.
Parmi les résultats les plus importants du Sommet figure un accord que l’on connaît à présent sous le nom de « Grand compromis », en vertu duquel les donateurs acceptent de rendre les fonds plus flexibles, prévisibles et durables, tandis que dans un certain nombre de domaines clés, les acteurs humanitaires sont contraints de mettre de l’ordre dans leur organisation.
L’une des principales demandes faites aux organisations humanitaires est de mieux coordonner leurs actions, de réduire les chevauchements et donc d’améliorer leur efficacité. Si ces idées ne sont pas nouvelles, le Grand compromis les codifie pour la première fois en vue de lancer une réforme du secteur humanitaire à haut niveau.
Ce type de coordination et de collaboration ne va pas sans difficulté. De nombreuses organisations humanitaires, y compris des composantes du Mouvement, sont enfermées dans une réflexion à court terme, à la fois concernant nos politiques et nos cycles d’activité, ce qui peut entraîner des décisions contraires aux meilleures fins humanitaires. Cette manière de penser découle parfois d’exigences en matière de financement et de recouvrement des coûts, de la concurrence dans le domaine de la collecte de fonds, des obligations imposées par les donateurs, ou de la répartition traditionnelle des rôles et des responsabilités – des habitudes dont il est difficile de se défaire.
Une architecture de l’isolement
En dépit de tentatives d’amélioration de la coordination et de la coopération au fil des années, le système humanitaire se caractérise largement par un ensemble de contributions isolées ou d’effets produits par des organisations individuelles. Cette dynamique est bien expliquée dans l’étude réalisée en 2011 par M. Kania et M. Kramer et publiée dans un article du Stanford Social Innovation Review.
Voici comment les choses se produisent généralement : afin d’atteindre un objectif particulier dans le domaine qui les intéresse, les donateurs essaient de déterminer quelles organisations contribuent le plus à la réalisation de cet objectif et les financent en conséquence, même si une approche plus collective pourrait produire de meilleurs résultats.
Des déferlements d’aide
Parmi les derniers exemples en date figure celui du Myanmar, où nombre d’organisations humanitaires ne se sont réinstallées que relativement récemment. En 2014 et 2015, ces organisations humanitaires ont organisé séparément près de 5 000 ateliers, lancements et manifestations. D’après Richard Moore (ancien responsable de division à l’AusAID, l’agence australienne pour l’aide humanitaire), les responsables locaux se sont ainsi retrouvés dépassés et largement privés de leurs prérogatives.
Huit acteurs appartenant au Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge mènent des projets au Myanmar. Ils sont beaucoup plus nombreux dans bien d’autres pays. Ainsi, au moins 15 Sociétés nationales partenaires disposaient d’un bureau aux Philippines au plus fort de l’intervention engagée suite au typhon Haiyan.
Dans ces contextes, les organisations d’exécution se font concurrence pour démontrer que leurs propres activités produisent les meilleurs effets. On juge ensuite leur capacité d’obtenir des résultats de manière isolée. D’après M. Kania et M. Kramer, les organisations travaillent ainsi les unes contre les autres, ce qui dans l’ensemble entraîne une augmentation exponentielle des besoins en ressources.
Au sein de la Croix-Rouge australienne, nous connaissons bien ce schéma, car nous œuvrons dans une région fortement exposée aux catastrophes naturelles. En 2015 et 2016, le Vanuatu et les Fidji ont été frappés par les pires cyclones qu’ils aient jamais connus. Plus de la moitié de la population du Vanuatu a été touchée, et le coût de la catastrophe s’est élevé à 60 % du PIB du pays.
Le Vanuatu ne comptant que 260 000 habitants, l’intervention qui a fait suite aux cyclones a submergé les institutions et les communautés locales. Cent-trente organisations distinctes sont intervenues et des appels internationaux ont été lancés à hauteur de millions de dollars. Pourtant, les familles vivant dans les îles éloignées ont dû attendre des semaines pour recevoir des articles aussi basiques que des bâches et des outils pour se protéger de la pluie. Les organisations locales ont eu le sentiment d’être court-circuitées par le système international et, au sein du Mouvement, des difficultés ont surgi, liées à une prise de décisions à plusieurs étages et à une coordination médiocre.
La nécessité d’un changement de culture
Pour gérer ce type de déferlement d’aide récurrent, il ne faut pas simplement mettre en place de nouveaux mécanismes de coordination, bien que ce puisse être un élément de solution ; il faut surtout faire évoluer la culture de l’ensemble du secteur afin de récompenser l’impact collectif plutôt que les efforts isolés. Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, réseau complexe d’entités à la fois interdépendantes et autonomes, œuvrant de manière multilatérale, bilatérale et parfois unilatérale, est particulièrement concerné.
Sommes-nous prêts pour un tel changement de culture ? Le secteur, et notamment le Mouvement, sont-ils trop enfermés dans une mentalité d’impact isolé, embourbés dans des conflits internes opposant « territoire et confiance » et incapables de faire passer les meilleures fins humanitaires au premier plan ?
Avant de répondre à cette question, il convient d’examiner ce à quoi pourrait ressembler cette nouvelle « culture ». Dans différentes régions du monde, de nouvelles approches et de nouveaux schémas sont mis à l’essai pour aider à mieux comprendre comment un modèle plus collectif pourrait fonctionner. Ces approches présentent généralement quelques caractéristiques communes : plusieurs partenaires s’allient autour d’un programme, d’actions et de résultats communs.
En ce qui les concerne, les partenaires doivent agir dans le cadre de rôles et responsabilités clairement définis, et contribuer à un programme global sans se l’accaparer. Il s’agit de savoir quels partenaires sont les mieux placés pour intervenir sur certaines questions, quand et où œuvrer conjointement, ou quand se désengager. Par ailleurs, tous les acteurs doivent comprendre et respecter les principes opérationnels des uns et des autres, faire preuve de volonté et fermement observer une diligence raisonnable.
En Australie et dans d’autres pays, on observe une augmentation considérable des stratégies visant à avoir un impact collectif sur des problèmes sociaux complexes, qu’il s’agisse de la réduction de la récidive chez les personnes prises dans le système de justice pénale, du développement de l’enfant tout au long du cycle éducatif, de la réduction de la pauvreté ou de la lutte contre le phénomène des sans-abris.
Ces efforts tendent à porter leurs fruits si les activités sont complémentaires, si la communication est continue, et si une organisation de soutien sert de pilier en dirigeant la coordination, et non la mise en œuvre. Qu’est-ce qui nous empêche d’adopter les mêmes principes dans le cadre de nos opérations internationales et de nous efforcer de mieux avancer dans la même direction ?
Au sein de la Croix-Rouge australienne, nous avons récemment élaboré une note d’information sur l’impact qui permettra de rassembler plusieurs partenaires pour les aider à appréhender des défis humanitaires complexes. Nous sommes en train d’adopter des principes relatifs à l’impact collectif et d’essayer de repenser la manière de gérer les catastrophes dans le Pacifique.
Nous cherchons en outre à allier les forces et les ressources des secteurs des technologies, des sciences, de l’entrepreneuriat, des finances et du droit avec celles des organisations locales, de la Croix-Rouge australienne et d’organisations non gouvernementales internationales. Il s’agit d’une étape en vue de la réorientation de l’intégralité de notre modèle d’activité et d’une meilleure préparation pour l’avenir.
Provoquer un grand changement
Nous ne sommes qu’au commencement de cette entreprise, mais nous remettons en cause les partenariats et les modèles commerciaux existants, nouons un dialogue avec de nouveaux acteurs, exploitons de nouvelles technologies et introduisons de nouvelles façons de penser. L’objectif est de provoquer à plusieurs un plus grand changement qu’à nous seuls. Nous savons depuis un certain temps déjà qu’une aide humanitaire plus intelligente requiert le savoir-faire et l’expertise d’autres acteurs (le secteur privé, les ONGI, les gouvernements), ainsi que la portée unique de la Croix-Rouge.
Nous devons à présent nous poser de nouvelles questions : entretenons-nous ces relations dans la perspective de la cocréation ou considérons-nous que le secteur privé ne fait qu’investir dans notre segment d’un système fragmenté ? Sommes-nous réellement guidés par les meilleures fins humanitaires ou visons-nous simplement les meilleurs résultats que nous pouvons obtenir seuls ?
Tenant compte de ces questions, nous estimons qu’il faut repenser fondamentalement l’écosystème humanitaire en général, et le rôle de la Croix-Rouge en son sein. Nous devons commencer à suivre une approche de la collaboration plus durable et systémique. Cela suppose d’être courageux et de ne pas s’accrocher à des modalités et habitudes dépassées. Il faut introduire de nouvelles formes d’investissement et faire appel à des partenaires non traditionnels.
En ce sens, le Grand compromis nous demande de parier sur l’avenir et de renoncer à un pan de notre territoire, et à certains procédés permettant de produire des effets mesurables mais isolés. En échange, nous devrions normalement accomplir quelque chose de plus grand, c’est-à-dire contribuer à avoir un impact collectif bien plus considérable et transformateur.
Fiona Tarpey
Photo : Croix-Rouge australienne
Peter Walton
Photo : Croix-Rouge australienne
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