Un atterrissage en douceur
Pour des volontaires comme Sami Rahikainen, il est crucial d’établir une relation de confiance avec les migrants qui arrivent dans un nouvel endroit à la recherche d’une toute nouvelle vie. Voici son histoire.
Telle est la question que se posent chaque jour de nombreux migrants durant leur voyage ou dans leur nouvel environnement. Une étude réalisée par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge formule des suggestions sur la manière de créer la confiance parmi les migrants, y compris les réfugiés, à l’égard des personnes qui cherchent à les aider.
Nous sommes à Musina, une petite ville située dans le nord de l’Afrique du Sud, à la frontière avec le Zimbabwe. Marrieth Ndela s’entretient avec un jeune homme qui a parcouru plus de 1000 kilomètres — à pied, en voiture et en autobus — depuis la République démocratique du Congo (RDC), en quête d’un havre sûr.
« Je me rappelle combien j’avais peur durant le mois qui a suivi mon arrivée ici », raconte Amman, qui était professeur de musique avant de fuir son pays en raison de l’instabilité et de la violence. « C’est effrayant d’arriver dans un pays étranger, sans connaître personne. J’avais peur de la vie ici, surtout à Pretoria, où des voleurs peuvent tuer à tout moment, comme je l’ai vu de mes yeux. Ils ont tué un homme devant moi, j’étais vraiment terrorisé. »
Il n’est pas rare, hélas, que des migrants, y compris des demandeurs d’asile et des réfugiés, soient confrontés à des épreuves et des dangers de ce type au cours de leurs voyages. Un grand nombre d’entre eux ne souhaitaient pas quitter leur foyer, mais y ont été contraints par la violence armée. D’autres ont traversé des zones où règne le banditisme, ou ont été arrêtés ou retenus par la police, ou encore ont séjourné dans des communautés où ils n’étaient pas toujours les bienvenus pour tout le monde.
Musina accueille des migrants venus de loin : d’Éthiopie et d’Érythrée, de RDC et de Tanzanie, de même que des pays voisins, comme la Zambie et le Mozambique. Les volontaires actifs ici savent que les migrants ont, dans bien des cas, de très bonnes raisons de se méfier de toute personne qui s’approche d’eux.
Cette méfiance peut aggraver fortement leur vulnérabilité s’ils ont peur de demander de l’aide ou une protection, explique Marrieth Ndela, volontaire pour la section locale de la Société de la Croix-Rouge sud-africaine dans les équipes qui proposent des tests de dépistage des maladies infectieuses et qui offrent des services permettant aux migrants de rester en contact avec les membres de leur famille dont ils sont éloignés.
« La confiance entre les volontaires et les migrants est essentielle, assure-t-elle. Nous tâchons donc de nouer une relation avec eux. Nous nous rendons tous les jours dans les lieux où les migrants se sentent en sécurité, afin qu’ils s’habituent à nous et apprennent à nous connaître. »
De quoi se méfient les migrants avant tout ? « Ils s’inquiètent de ce qui pourrait leur arriver, poursuit Marrieth Ndela, parfois parce qu’ils n’ont pas de papiers, ou parce qu’ils craignent que leurs documents ne soient pas valables. La plupart d’entre eux redoutent d’être renvoyés dans leur pays d’origine. C’est pourquoi nous leur expliquons que nous ne communiquons à personne les informations qu’ils nous confient, et que nous aidons tout le monde, avec ou sans papiers. »
« C’est effrayant d’arriver dans un pays étranger, sans connaître personne. J’avais peur de la vie ici. »
Amman,
qui a parcouru plus de 1000 kiomètres en provenance de la République démocratique du Congo, pour chercher un asile sûr en Afrique du Sud
« Nous sommes généralement les premières personnes qu’ils rencontrent en arrivant dans notre pays. Nous essayons donc de leur offrir notre aide et de créer la confiance en les accueillant aussi chaleureusement que possible, par nos actes, par notre présence, en créant un cadre de sécurité et en les épaulant. »
Sami Rahikainen, volontaire de la Croix-Rouge finlandaise qui aide les réfugiés réinstallés
Si la confiance est un élément important dans toute relation humaine et tout échange, elle est particulièrement critique dans le contexte de l’action humanitaire. S’agissant des migrations, la question est complexe, puisque les acteurs humanitaires doivent conserver la confiance des migrants, mais aussi, notamment, celle des autorités, des communautés d’accueil et de l’ensemble de la population.
Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a lancé une étude de portée mondiale afin de mieux comprendre les préoccupations et les perceptions des migrants en matière d’assistance humanitaire et de protection. Le rapport, intitulé « Perspectives de personnes migrantes : Instaurer la confiance dans l’action humanitaire », a été publié le 13 décembre 2022 par le Laboratoire mondial des migrations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, à la veille de la Journée internationale des migrants, le 18 décembre.
Le document est fondé sur des enquêtes quantitatives en face-à-face et en ligne, des entretiens et des discussions de groupe menés avec près de 17 000 migrants dans plus de 15 pays. Ses conclusions montrent que les migrants font, de manière générale, confiance aux acteurs de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, mais que « cette confiance n’est pas universelle et que le travail pour la construire et la maintenir doit se poursuivre ».
« Si la plupart des personnes migrantes ayant participé à cette recherche associent les emblèmes de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à la sécurité et à l’espoir (73 %), elles ont également exprimé une certaine confusion quant au travail que les organisations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge réalisent avec et pour les personnes migrantes, ce qui souligne la nécessité d’élaborer des stratégies visant à mieux communiquer les services. »
À titre d’exemple, les migrants ne comprennent pas tous que les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont indépendantes des autorités gouvernementales. Selon le rapport, « Seules environ 21 % de toutes les personnes migrantes ont reconnu les acteurs de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge comme indépendants des autorités publiques dans leur pays de naissance et 26 % dans leur pays actuel. »
Ce malentendu peut représenter un obstacle important lorsqu’il s’agit de venir en aide à des personnes qui se méfient des autorités. Il suffit de songer à un problème de confiance essentiel auquel bien des gens sont confrontés chaque jour dans le monde entier : la protection des données personnelles. Dans ses activités destinées à aider les migrants à renouer le contact avec leurs proches vivant loin d’eux, Marrieth Ndela doit recueillir des informations sur les personnes qui envoient des messages et sur les destinataires qu’elles cherchent à atteindre.
« Nous faisons donc un gros travail de sensibilisation, en leur expliquant qui nous sommes et ce que nous faisons, et en décrivant nos sept Principes fondamentaux, comme l’indépendance et la neutralité, explique-t-elle. Nous les assurons que les informations qu’ils nous confient ne seront jamais transmises ni aux autorités, ni à la police, ni à qui que ce soit en dehors de la Croix-Rouge. »
85 : le pourcentage de migrants qui déclarent avoir été traités de manière digne et respectueuse par les acteurs de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
73 : le pourcentage de migrants consultés qui associent les emblèmes de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge avec la sécurité et l’espoir. Un grand nombre d’entre eux, cependant, n’ont pas les idées parfaitement claires sur les activités des acteurs du Mouvement avec et pour les migrants, ce qui montre la nécessité de concevoir de meilleures stratégies de communication sur les services offerts par les acteurs de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en matière d’assistance et de protection humanitaires pour les migrants en situation vulnérable, indépendamment du statut juridique des personnes.
26 : le pourcentage approximatif de migrants persuadés de l’indépendance des acteurs de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à l’égard des autorités dans le pays où ils résident actuellement.
21 : le pourcentage de l’ensemble des migrants persuadés de l’indépendance des acteurs de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à l’égard des autorités dans leur pays de naissance.
25 : le pourcentage de migrants interrogés qui disent craindre qu’une demande d’assistance et de protection humanitaires les expose à un risque accru de détention ou d’expulsion.
Il peut être délicat de comprendre les perceptions des gens et d’y réagir, car de nombreuses Sociétés nationales doivent, dans une certaine mesure, coordonner leur action avec les autorités dans leur travail d’aide aux migrants. La première des recommandations formulées dans le rapport est de « Respecter le principe d’indépendance et prendre des mesures pour faire savoir quand, où et dans quel contexte les organisations humanitaires coopèrent avec les autorités publiques. ».
En parallèle, les Sociétés nationales doivent aussi conserver la confiance des autorités, de manière à ce qu’elles comprennent et respectent leur action purement humanitaire et ne s’ingèrent pas dans leurs activités.
Dans le Sahel, où les conditions de vie des migrants sont particulièrement dures et dangereuses, ces facteurs sont présents en permanence. Le rapport cite une étude récente, dans laquelle plus de 70 pour cent des migrants interrogés ont déclaré craindre qu’une demande d’assistance ou de protection humanitaires ne les expose à un risque accru de détention ou d’expulsion. En outre, certains gouvernements ont redoublé d’efforts, au cours des dernières années, pour utiliser l’aide au développement et les services humanitaires afin d’encourager les populations à ne pas migrer, ou à faire en sorte que les personnes déjà en route n’aillent pas plus loin.
« Pour gagner la confiance des migrants, il est important de ne pas encourager ni décourager leur projet de migration », assure Maazou Oumarou, expert en migrations de la FICR basé à Niamey (Niger), qui a réalisé une partie des recherches sur lesquelles se fonde ce nouveau rapport. « Sur cette question, nous restons neutres. On ne peut pas leur dire “n’allez pas en Europe, il n’y a aucune perspective pour vous là-bas”. Si vous leur dites cela, ils vont se demander : “pourquoi cette personne me dit-elle cela ?” et ensuite ils vous éviteront et préféreront s’adresser à quelqu’un qui approuve leur projet. »
C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles le Mouvement traite la migration d’un point de vue purement humanitaire, avec pour objectif de répondre aux besoins matériels et de limiter les souffrances, sans chercher à encourager ni à décourager ou à prévenir la migration. « C’est très important, parce que la méfiance pourrait limiter leur accès aux services que nous offrons, et leur situation, dans ce cas, ne ferait qu’empirer », conclut Maazou Oumarou.
Cette confiance est non moins importante au moment où les migrants arrivent dans leur pays de destination ou d’établissement. C’est ce qui saute aux yeux à l’aéroport international d’Helsinki, où Sami Rahikainen se dirige vers les portes des arrivées après avoir franchi les contrôles de sécurité.
Sami fait partie d’un groupe de volontaires de la Croix-Rouge finlandaise qui se rendent régulièrement à l’aéroport pour accueillir les arrivants dans le cadre du programme national de réinstallation. « Nous tâchons que leur arrivée dans le pays se déroule de manière aussi sereine que possible », explique-t-il dans la zone des arrivées, tandis que des avions roulent sur le tarmac derrière lui.
« Ces personnes ont souvent fait un voyage interminable, parfois de deux ou trois jours », dit-il, en relevant que leur parcours a probablement commencé bien avant de monter dans l’avion Certains migrants ont survécu à un conflit ou passé beaucoup de temps dans des camps de réfugiés, tandis que d’autres ont subi des traumatismes ou sont atteints dans leur santé. C’est pourquoi créer la confiance est particulièrement crucial.
« Nous sommes généralement les premières personnes qu’ils rencontrent en arrivant dans notre pays. Nous essayons donc de leur offrir notre aide et de créer la confiance en les accueillant aussi chaleureusement que possible, par nos actes, par notre présence, en créant un cadre de sécurité et en les épaulant. »
« Parfois, ils sont trop épuisés, ou même trop effrayés pour poser des questions. Nous leur donnons des informations, c’est l’une des choses qui permet de gagner leur confiance. » Il peut s’agit de choses très simples, par exemple de leur indiquer le lieu et l’heure de leur correspondance s’ils doivent repartir par un autre vol, ou en leur décrivant la ville qui les accueille et les personnes qu’ils vont rencontrer.
Dans d’autres régions, les migrations se déroulent de manière tout à fait différente, mais les problèmes de fond sont similaires. Ruthraj Senadhirajah, responsable des recherches, aide les migrants à renouer le contact avec des proches dont ils sont éloignés. Il travaille pour la section de Batticaloa de la Croix-Rouge du Sri Lanka, sur la côte orientale du pays. La majeure partie de ses activités concernent des situations dans lesquelles des Sri-lankais travaillent ou ont travaillé dans des pays étrangers.
Pour pouvoir réellement aider les gens, il faut qu’ils se sentent suffisamment à l’aise pour évoquer ouvertement leurs problèmes et parler de leur vie personnelle. Pour illustrer cet aspect, Ruthraj raconte l’histoire d’un Sri-lankais travaillant en Arabie saoudite, contraint de revenir au pays après une attaque cérébrale qui l’avait laissé paralysé.
« La famille n’a tout simplement rien à manger, raconte Ruthraj. Sa femme a trouvé un travail mal payé dans un magasin en ville, où elle gagne à peine de quoi couvrir tant bien que mal les dépenses quotidiennes. Pour aller travailler, elle devait parcourir chaque jour 10 km en vélomoteur, mais avec la crise énergétique et la hausse des prix du carburant, elle s’est trouvée dans l’impossibilité de se rendre au travail. Elle reste donc à domicile, avec sa famille de quatre personnes. »
Muni de ces informations, Ruthraj a pu s’entretenir avec elle pour envisager l’aide que la Croix-Rouge pourrait apporter. Les personnes comme elle sont disposées à parler ouvertement, parce qu’elles ont été témoin des activités de la Croix-Rouge dans de nombreuses situations de crise (conflits internes, catastrophes naturelles, pandémies). « Les gens s’ouvrent à moi de ce type de situation parce qu’ils ont confiance dans la Croix-Rouge et savent que nous pouvons peut-être faire quelque chose. »
Il est non moins essentiel, ajoute Marrieth Ndela, de pouvoir s’entretenir avec les migrants dans leur langue. C’est pourquoi la section de Musina compte des volontaires originaires des mêmes pays que les migrants. Au total, l’équipe de volontaires peuvent parler plus de dix langues, du français et du portugais au shona, au zoulou et au sanga, entre autres. C’est une nécessité absolue pour comprendre vraiment ce que vivent ces personnes.
« Nous devons comprendre leur état psychologique et les épreuves qu’ils ont traversées en voyageant seuls, sous une pression considérable, poursuit Marrieth. Ils arrivent ici pleins d’espoir et découvrent que la vie n’est pas toujours conforme à leurs attentes, et se retrouvent parfois à la rue. C’est très dur et cela ne va pas sans conséquences sur leur état mental. Nous devons être en mesure de comprendre ce qu’ils ressentent. »
Les volontaires, dit-on souvent, sont le «cœur», ou l’«épine dorsale», du Mouvement. Mais ne serait-il pas temps de changer de métaphore ?