Un atterrissage en douceur
Pour des volontaires comme Sami Rahikainen, il est crucial d’établir une relation de confiance avec les migrants qui arrivent dans un nouvel endroit à la recherche d’une toute nouvelle vie. Voici son histoire.
vc_edit_form_fields_attributes_vc_
Fabian Arellano Peña, qui dirige l’équipe de gestion des situations de catastrophe au sein de la Société de la Croix-Rouge colombienne, est au Maroc cette semaine à l’occasion de la conférence consacrée au Pacte mondial sur les migrations. Croix-Rouge, Croissant-Rouge lui a demandé d’expliquer les raisons de sa présence et ce qu’il faut penser du phénomène sans précédent de migration massive en cours dans les Amériques.
[feather_share]
Croix-Rouge, Croissant-Rouge : Vous assistez à la conférence sur le Pacte mondial sur les migrations. Pourquoi jugez-vous important d’être ici et quel est le message que vous voudriez transmettre aux dirigeants du monde au sujet des migrations et de la situation actuelle en Colombie ?
Nous aimerions tout d’abord faire connaître notre expérience, car, selon ce que j’ai lu, les migrations sont traitées de manière différente en Europe ou en Afrique. En Colombie, nous avons accueilli un grand nombre de migrants, mais nous avons une histoire que nous partageons avec le Venezuela, car pendant de nombreuses années des Colombiens partaient pour le Venezuela, pour fuir le conflit ou pour trouver de meilleures possibilités de gagner leur vie.
CRCR : Comment la Société de la Croix-Rouge colombienne a-t-elle commencé à fournir une aide à ces migrants ?
En 2014, nous nous sommes associés au Ministère des affaires étrangères de Colombie pour apporter une aide humanitaire aux Colombiens de retour du Venezuela.
Nous avons alors ouvert un centre d’assistance dans la ville de Cucuta, sur un pont le long de la frontière, où nous dispensions des premiers soins. Mais le nombre de personnes qui nous sollicitaient ne cessait de croître.
Nous avons alors constaté que de nombreux migrants vénézuéliens arrivaient en Colombie sans argent pour payer leur propre transport; ils marchaient des jours et des jours pour gagner l’intérieur du pays. Tous les jours, nous voyions 200 à 300 migrants quitter Cucuta à pied, sans personne pour les aider.
Nous avons donc mis sur pied un poste d’assistance à la sortie de la ville. Puis nous avons remarqué que les migrants n’avaient même pas d’habits adaptés pour faire face au froid dans la montagne, parce qu’ils viennent de lieux chauds. Nous avons alors compris qu’il fallait fournir des soins de base.
CRCR : Sur quoi se concentre la Société nationale en ce moment ?
Nous mettons surtout l’accent sur l’assistance aux migrants qui effectuent ce parcours difficile en entrant en Colombie. Nous leur proposons des premiers secours et des services de santé.
Nous les aidons par ailleurs à rester en contact avec leur famille. Dans nos postes d’aide, situés le long de leur parcours, nous leur offrons un accès à Internet pour qu’ils puissent communiquer avec leurs proches. Pour eux, le simple fait d’avoir un endroit où recharger leur téléphone portable est une chose importante.
On nous demande d’apporter une aide médicale, mais cela s’est révélé très difficile, surtout lorsqu’il s’agit d’autre chose que de problèmes de base. Ces derniers temps, par exemple, nous avons vu de nombreux migrants atteints de maladies chroniques comme le diabète ou porteurs du VIH, et il nous est difficile de les aider parce que dans nos postes de secours, nous n’avons pas les ressources nécessaires en ce moment pour offrir des soins spécialisés. Cependant, quelques bureaux régionaux de la Société de la Croix-Rouge colombienne ont pu élargir leur offre de soins.
CRCR : Quelles sont, d’après vous, les principales difficultés auxquelles se heurte la Société de la Croix-Rouge colombienne pour aider ces nombreux migrants ?
L’une des plus grandes difficultés pour nous consiste à trouver des moyens de pérenniser cette assistance, car la situation n’est pas près de changer.
C’est pourquoi les politiques destinées aux migrants doivent, en définitive, envisager des moyens de favoriser leur intégration dans l’économie locale. Il ne faut pas redouter leur arrivée : nous devons simplement trouver des moyens de leur faciliter la recherche d’un travail. Nous avons besoin qu’ils commencent à payer des impôts, à cotiser au système de santé publique et à poursuivre leur intégration.
Certaines de ces politiques ne dépendent pas de la Croix-Rouge. Nous avons cherché des donateurs, comme l’Union européenne ou l’Agence des États-Unis pour le développement international, qui peuvent soutenir notre travail humanitaire. Mais nous tâchons d’être très sélectifs s’agissant de nos activités, plutôt que de lancer de nombreux projets que nous ne pourrions pas soutenir à long terme.
CRCR : Vous avez dit qu’il est important d’adopter des politiques qui aident les migrants à obtenir une autorisation de séjour qui facilitent leur intégration dans le marché du travail. Quelles autres politiques sont importantes ?
Un rapport récent de la Banque mondiale sur l’émigration du Venezuela suggère que les pays d’Amérique latine pourraient harmoniser leurs critères d’accueil des migrants. De cette manière, on éviterait d’encourager les migrants à se rendre en masse dans le pays qui a les règles les plus souples.
Au niveau de la Société nationale, nous veillons notamment à ce que les migrants et les résidents des communautés où nous intervenons aient accès à nos services sur un pied d’égalité. Cela nous aide à prévenir le ressentiment contre les migrants dans les communautés vulnérables. Nous souhaitons que les membres de ces communautés considèrent que grâce à la migration, ils bénéficient de nouveaux services auxquels ils n’avaient peut-être pas accès auparavant.
CRCR : Les migrants vénézuéliens sont-ils victimes de xénophobie ?
Avec de vastes mouvements migratoires de ce type, il y a nécessairement des confrontations ou des personnes qui acceptent mal le fait que des étrangers se voient offrir des emplois dans certains secteurs d’activité. Mais les incidents xénophobes sont restés rares jusqu’ici.
La Colombie et le Venezuela ont des liens historiques forts, avec des mouvements de populations entre les deux pays, ce qui facilite l’intégration. Un grand nombre de Colombiens ont des parents qui ont vécu, ou qui vivent encore au Venezuela.
En réalité, nous voyons de grandes manifestations de solidarité le long de cette voie migratoire. Nous avons vu des habitants, dans les petites villes sur le parcours des migrants, leur offrir de la nourriture et même ouvrir leur porte pour que les migrants puissent se reposer quelques jours. Ces gestes ont été une partie très importante de la réponse humanitaire.
CRCR : Quels sont, à vos yeux, les principaux problèmes auxquels se heurtent ces migrants à leur arrivée en Colombie ?
La principale difficulté pour eux est de trouver un travail et aussi de recevoir des soins médicaux. Trouver un logement à louer représente un autre problème de taille.
Les migrants ont du mal à trouver un logement parce que dans certains cas, lorsqu’ils parviennent à louer un appartement, ils invitent d’autres migrants à habiter avec eux pour réduire les coûts, avec pour résultat des appartements surpeuplés, ce qui n’est pas du goût des propriétaires.
En termes de santé, le gouvernement colombien n’accorde aux migrants qu’un accès gratuit aux soins d’urgence. Il faut être légalement établi dans le pays pour avoir accès à des services médicaux spécialisés.
Au sein de la Croix-Rouge, nous nous efforçons de fournir des soins de santé préventifs aux migrants, bien que notre capacité d’offrir des soins médicaux spécialisés soit très limitée, car ils sont extrêmement coûteux.
CRCR : Quelle direction va prendre l’activité de la Croix-Rouge à l’égard des migrants, selon vous ?
Au mois de septembre, nous avons lancé un projet, dans le cadre de l’appel d’urgence de la FICR, qui comprend la création de huit dispensaires où les migrants pourront avoir accès à des services médicaux, y compris certains examens de santé. Nous avons aussi déployé trois dispensaires mobiles et nous comptons poursuivre sur cette voie.
C’est important, car dans certains cas, les migrants ont peur de se rendre à l’hôpital. Parfois, c’est parce qu’ils se sentent vulnérables. Nous amenons donc ces dispensaires mobiles dans les quartiers sensibles, où nous savons que les migrants sont nombreux, et une fois sur place nous traitons les migrants et les Colombiens sur un pied d’égalité.
CRCR : La migration est trop souvent décrite comme un phénomène Sud-Nord, alors que la grande majorité des personnes qui migrent dans le monde se déplacent du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, dans les Amériques comme en Afrique et en Asie. Le débat général sur la migration serait-il déséquilibré ?
C’est vrai, nous constatons en effet que les médias évoquent surtout la migration Sud-Nord. c
Ceci dit, en Colombie tout au moins, nous avons eu dernièrement de nombreuses visites de dirigeants importants d’organisations internationales, qui ont donné davantage de visibilité à notre situation.
Bien sûr, on peut toujours faire plus pour gagner en visibilité. Dans notre cas en particulier, on voit beaucoup d’informations concernant ce qui se passe aux principaux postes de passage de la frontière, mais on parle moins des faits qui se déroulent aux points de passage illégaux, que les migrants sont forcés d’emprunter quand ils n’ont pas les documents nécessaires.
Les restrictions imposées par les gouvernements ont contraint davantage de migrants à franchir la frontière clandestinement dans ces endroits qui sont tenus par des groupes criminels, ce qui leur fait courir des risques. Ces migrants ont d’immenses besoins et ils continueront à essayer d’entrer par tous les moyens possibles en Colombie et dans d’autres pays d’Amérique du Sud.
Vaincre la maladie à virus Ebola exige davantage que de l’information, des vaccins et des traitements : il faut aussi gagner la confiance de populations qui ont de bonnes raisons de se montrer méfiantes.