Un atterrissage en douceur
Pour des volontaires comme Sami Rahikainen, il est crucial d’établir une relation de confiance avec les migrants qui arrivent dans un nouvel endroit à la recherche d’une toute nouvelle vie. Voici son histoire.
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Sur les marchés de Monrovia, la capitale du Libéria, les volontaires de la Croix-Rouge du Libéria expliquent aux habitants la nécessité de poursuivre les activités de prévention de la maladie à virus Ebola. Photo : Stephen Ryan/FICR
Depuis des siècles, les épidémies et les villes entretiennent une relation ambiguë. En 430 av. J.-C., la variole a tué un habitant d’Athènes sur cinq et en 1334, la peste a emporté, en six mois, un tiers des 90 000 habitants de Florence. En 1854, une épidémie de choléra dévasta Londres, entraînant la formulation des premières stratégies de santé publique en milieu urbain.
«Voici un siècle, c’est l’assainissement et l’enlèvement des ordures — et non les médicaments — qui ont mis un terme aux grandes flambées dans les villes», explique Amanda McClelland, administratrice principale Urgences de santé publique à la FICR.
«Les nouveaux pôles urbains sont souvent des bidonvilles densément peuplés, qui s’étendent sans bénéficier des infrastructures qui ont permis de stopper les maladies par le passé. Allons-nous retrouver les risques que nous affrontions au XIXe siècle ?»
Les maux qui frappaient Londres à l’époque — mauvaise hygiène publique, surpopulation, croissance démographique rapide due aux mouvements de population — sont terriblement proches des facteurs qui causent aujourd’hui les épidémies urbaines. Selon les Nations Unies, les insuffisances de l’assainissement et de l’approvisionnement en eau potable sont la cause de 80 % environ des maladies dans les pays en développement. Pourtant, 2,5 milliards de personnes dans le monde sont privées d’accès à ces services essentiels, et un grand nombre d’entre elles habitent les villes. Plus de la moitié de la population du monde réside déjà en milieu urbain et cette proportion devrait dépasser 70 % d’ici à 2050.
La majeure partie des flambées de maladies mortelles qui ont fait rage au cours des dernières années ont touché des villes, et cette dimension urbaine a favorisé la diffusion de la maladie et compliqué les mesures destinées à l’endiguer. Tant l’épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique occidentale que celle de fièvre jaune en Angola et en République démocratique du Congo (RDC) en 2016 ont provoqué de graves difficultés dans des environnements urbains surpeuplés.
De l’Asie du Sud-Est à l’Amérique latine, les maladies transmises par les moustiques, comme la dengue, la maladie à virus Zika et le chikungunya, font des ravages dans les villes fortement peuplées, où les infrastructures et les systèmes de gestion des déchets laissent à désirer. Quant au choléra, il réapparaît dans de nombreuses régions du monde, le plus souvent dans des quartiers surpeuplés dépourvus de systèmes d’assainissement satisfaisants.
L’urbanisation présente aussi des avantages. Les villes peuvent utiliser les ressources de manière plus efficace et plus durable; elles offrent des écoles, des hôpitaux et des emplois à des millions de personnes dans des zones relativement restreintes. En cas de crise, l’assistance peut être fournie rapidement. Dans les pays industrialisés, selon la revue médicale The Lancet, la santé des habitants des villes s’est améliorée. Cet «avantage urbain» s’explique dans une large mesure par un meilleur accès aux soins de santé et aux infrastructures, comme l’assainissement et l’éducation. Les villes offrent aussi une plus grande cohésion sociale et davantage de possibilités d’entraide, qui sont généralement des facteurs de meilleure santé.
Dans de nombreux pays en développement, cependant, ces points positifs ont un prix. L’urbanisation rapide surcharge les services et les systèmes des villes. On estime à un milliard le nombre de personnes qui vivent dans des logements de mauvaise qualité, sur des terrains non adaptés au logement, dépourvus des services et des infrastructures qui pourraient les protéger des catastrophes ou des maladies. Bon nombre de ces citadins sont des résidents illégaux, qui survivent sans électricité ni eau courante, sans possibilité d’avoir accès aux services de santé ou aux services sociaux, lesquels ignorent jusqu’à leur existence.
Dans ces logis de fortune et ces rues sordides, les microbes trouvent un terrain fertile dans les eaux contaminées, les déchets solides ou les moustiques, qui ne se soucient guère des démarcations municipales. Les microbes qui causent les maladies à virus Zika, Ebola, le choléra ou la fièvre jaune prolifèrent dans les bidonvilles insalubres où les gens vivent entassés les uns sur les autres.
L’environnement urbain joue un double rôle dans ces épidémies : il favorise la transmission et entrave les mesures de lutte contre la maladie.
Louise Marie Daniel, responsable d’une équipe de mobilisation sociale pour la Société nationale de la Croix-Rouge haïtienne, présente aux habitants de Tiburon (Haïti) des trousses de traitement contre le choléra et explique comment épurer l’eau après le passage de l’ouragan Matthew en 2016.Photo : Maria Santto/FICR
La maladie à virus Zika, relativement inoffensive dans les zones rurales d’Afrique, a pris un tout autre visage lorsqu’elle a touché les rues surpeuplées des villes du Brésil. Le taux d’urbanisation de 80 % dans les Amériques a fortement accru le risque de flambée importante de la maladie. À la fin de l’année 2016, plus de 500 000 cas potentiels avaient été signalés dans les Amériques.
Le moustique Aedes aegypti, vecteur de la fièvre jaune et du virus Zika, peut se reproduire à peu près partout. Il affectionne les ordures et l’eau stagnante qui s’accumule dans les pneus usagés, les bouchons de bouteille et les gouttières bouchées.
Les études sur le moustique montrent que la plupart des femelles Aedes aegypti peuvent passer leur vie entière à proximité ou à l’intérieur des maisons où elles ont atteint l’âge adulte, explique l’Organisation mondiale de la Santé. Ce sont donc les humains, davantage que les insectes, qui sont la cause de l’avancée rapide du virus à l’intérieur des communautés et entre celles-ci. Dans les villes surpeuplées d’Amérique latine, le virus a progressé rapidement.
«Une personne peut être infectée dans un quartier, mais elle se rendra rapidement dans un autre et répandra ainsi l’infection», dit Juan Carlos Alvarez, consultant de la FICR pour la lutte antivectorielle dans les activités de lutte contre le virus Zika dans les Amériques. «Il suffisait de quelques heures au virus Zika pour passer d’un quartier à l’autre.»
La lutte contre la maladie s’est heurtée à d’autres obstacles. Si les habitants des zones rurales se montraient réceptifs, les citadins étaient plus réfractaires aux messages et la mobilisation des communautés était plus ardue. Bien souvent, la main-d’œuvre nécessaire pour toucher rapidement tous les ménages dans des quartiers fortement peuplés était tout simplement absente. En outre, dans les sociétés d’Amérique latine, où l’homme est la figure dominante, il était difficile de toucher les femmes lorsque les hommes étaient au travail.
Pendant une épidémie, le fait de savoir où sévit la maladie et qui elle frappe peut sauver des vies. C’est pourquoi la dégradation de la surveillance dans certains quartiers de Port-au-Prince pendant l’épidémie de choléra en Haïti en 2010 fut un grave revers.
«Les personnes atteintes de choléra étaient considérées “sales”, ce qui fait que les malades tâchaient souvent de dissimuler leurs symptômes», explique Angeline Brutus, coordonnatrice santé communautaire de la FICR pour Cuba, la République dominicaine et Haïti. De ce fait, tous les cas ne furent pas signalés. La stigmatisation était aussi présente dans les zones rurales, mais dans les villes elle empêcha un suivi approprié de l’épidémie qui progressait comme l’éclair.
En Haïti, les hôpitaux spécialisés furent submergés par l’explosion des cas de choléra, dont le nombre fut multiplié par dix. Les volontaires et les agents de santé étaient débordés, notamment dans les bidonvilles de Port-au-Prince. La combinaison du rejet social des malades et du manque de ressources aggravait une situation déjà périlleuse.
Dans l’impossibilité de disposer de chiffres précis, la Société nationale de la Croix-Rouge haïtienne se mit à l’œuvre, avec le ministère de la Santé et l’UNICEF, pour donner aux communautés les moyens de mener leur propre activité de surveillance.
«Nous avons mis sur pied un réseau — formé, bien sûr, de volontaires et d’agents de santé, mais aussi de responsables religieux, d’instituteurs, de sages-femmes, bref : de toute personne susceptible de rassembler des gens, explique Angeline Brutus. Les membres du réseau dépistaient les cas de diarrhée et administraient les premiers secours et les soins de base. C’est finalement la communauté qui assurait elle-même son propre contrôle. Le système est devenu bien plus efficace et le nombre de cas a fortement baissé.»
Équipés de téléphones mobiles, utilisant des moyens très divers — messages textuels et visites porte à porte —, les habitants furent chargés d’alerter la Croix-Rouge ou un agent de santé chaque fois qu’ils repéraient un cas de diarrhée, déclenchant une réaction en chaîne qui permettait une intervention rapide. S’il est plus aisé, dans une grande ville, de toucher efficacement un grand nombre de personnes, la surveillance, en revanche, y est plus difficile. Sans cette solide structure de communication, les efforts de surveillance auraient échoué.
La nécessité d’une bonne communication en milieu urbain n’a jamais été aussi patente que durant l’épidémie de fièvre jaune qui a touché l’Angola en 2016. Cette maladie ancienne, disparue des Amériques, subsistait encore dans les zones rurales d’Afrique, avec de modestes flambées occasionnelles, jusqu’à ce qu’elle se manifeste avec une ampleur nouvelle dans les bidonvilles de la capitale angolaise, Luanda.
Les infrastructures du pays, qui ne s’était pas encore relevé d’une longue guerre civile, étaient insuffisantes. Sans système de canalisations digne de ce nom, de nombreux habitants des bidonvilles stockaient leur eau dans des citernes ouvertes, des sites de ponte parfaits pour Aedes aegypti. La densité de la population facilita la transmission de la maladie.
La Croix-Rouge angolaise s’est alors lancée dans une grande campagne de vaccination gouvernementale, mais l’épidémie a continué, en partie à cause du manque de vaccins, mais aussi à cause des carences en matière de communication. Comme la vaccination était traditionnellement identifiée aux femmes et aux enfants, les hommes n’avaient pas été spécifiquement sollicités. «Or, les hommes se déplaçaient pour leur travail, ils voyageaient et commerçaient, et c’est ainsi que la maladie s’est répandue dans tout le pays et en RDC», explique Amanda McClelland.
Grâce à des groupes de réflexion et à des enquêtes et en écoutant la communauté, la Société nationale parvint à faire face et à rectifier le tir, tandis que les agents communautaires et les volontaires transmettaient des messages sanitaires essentiels qui permirent de relancer la campagne contre la fièvre jaune. Le gouvernement prolongea les horaires de vaccination pour tenir compte de la situation des hommes qui travaillaient; au village, chacun aurait pu poser ses outils quelques instants pour s’occuper de sa santé.
Les personnes qui déménagent en ville apportent avec elles leurs traditions et leurs coutumes rurales. Ainsi, en Haïti, quand une personne mourait du choléra, ses amis et ses parents convergeaient vers la maison du défunt et toutes ces personnes étaient en contact étroit les unes avec les autres, ce qui favorisait l’infection. De retour chez elles, elles répandaient le virus dans leur propre quartier.
Les pratiques traditionnelles d’enterrement en Afrique de l’Ouest entraînaient aussi des visites de nombreux parents et beaucoup de contacts avec le corps des personnes décédées. Comme le virus Ebola se transmet par contact avec les fluides corporels, le risque croît avec le nombre de personnes présentes. Dans les villes surpeuplées d’Afrique de l’Ouest, et en l’absence de systèmes d’assainissement adaptés, le virus avait un terrain plus favorable pour se répandre que dans les campagnes, où les maisons d’habitation sont plus éloignées les unes des autres.
L’aspect infamant de la maladie représentait aussi un obstacle. Comme la maladie tue 70 % des personnes infectées, les familles, craignant de signaler les décès, cachaient les corps des victimes chez elles, ce qui est sans doute plus facile dans une grande ville anonyme que dans des villages où chacun se connaît. Lorsque les ambulanciers partaient collecter les corps des personnes décédées, ils revenaient souvent les mains vides, quand ils ne se heurtaient pas à une hostilité ouverte.
Roselyn Nugba-Ballah supervisait les équipes d’inhumation sans risque et dans la dignité de la Croix-Rouge du Libéria à Monrovia durant l’épidémie. Elle n’a pas oublié : «Nos équipes étaient souvent agressées et nous devions nous faire accompagner par des policiers. L’une de mes équipes a été menacée avec des machettes et chassée, une autre a été retenue en otage dans son véhicule. Parfois, nous trouvions des corps qui avaient été gardés si longtemps par leur famille qu’ils étaient déjà en décomposition.»
Le lavage traditionnel des corps à la main était si dangereux que les équipes d’inhumation de la Croix-Rouge utilisaient plutôt des sacs en plastique, ce qui créa des difficultés qui finirent par être aplanies.
«Nous avons mené des activités communautaires avant les enterrements, et nous avons respecté toutes les traditions mortuaires, sauf le lavage des corps. Grâce à nos explications, les habitants ont commencé à comprendre pourquoi cette tradition était si nuisible», raconte Daniel James, qui a dirigé les inhumations sans risque et dans la dignité pour la Croix-Rouge de Sierra Leone pendant la crise d’Ebola.
En restant en contact étroit avec les communautés, les volontaires et les agents de santé ont réussi, dans toutes ces épidémies, à surmonter bien des obstacles et à sauver des vies. Ils ont expliqué sans relâche, dans les langues locales, ce qu’il fallait faire et ce qu’il fallait éviter, dénonçant des rumeurs fallacieuses (comme le fait que la maladie avait été apportée par les humanitaires). Ils ont finalement réussi à vaincre le manque général de connaissances qui peut se développer lorsque les gens vivent dans des conditions de surpopulation, sans hygiène, et dans la pauvreté, privés de services et d’information.
Voici un millier d’années, les caravanes circulaient lentement le long de la route de la Soie, qui traversait l’Asie et l’Europe. Les marchands vendaient leur marchandise ici ou là, achetant d’autres produits un peu plus loin, parcourant des mois durant, d’une extrémité à l’autre, le monde qu’ils connaissaient.
De nos jours, un trajet similaire peut être effectué en quelques heures. Sur notre planète mondialisée, les maladies qui jadis auraient eu le temps de s’éteindre pendant ces déplacements volent directement jusqu’à destination, passant par les aéroports situés à proximité de toutes les grandes villes.
Il suffit qu’une seule personne infectée, peut-être non diagnostiquée, embarque dans un avion.
La mondialisation est l’une des nouvelles frontières des maladies infectieuses; c’est une menace qui était encore difficile à prévoir voici quelques décennies à peine. Les spectres du bioterrorisme, des maladies résistant aux antibiotiques et des effets potentiels des changements climatiques sont tout aussi neufs et encore plus mal compris. Même des maladies mieux connues peuvent réserver des surprises. Ainsi, personne ne
s’attendait que Zika cause de tels ravages.
«Quelque 87 nouvelles maladies infectieuses ont été découvertes depuis 2010, affirme Amanda McClelland. Le moustique Aedes aegypti se plaît dans des milieux urbains; il transmet le Zika, la dengue, le chikungunya et la fièvre jaune, mais il pourrait être le vecteur d’autres maladies, dont chacune pourrait déclencher la prochaine épidémie, avec des conséquences que nous ne soupçonnons pas.»
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