Un atterrissage en douceur
Pour des volontaires comme Sami Rahikainen, il est crucial d’établir une relation de confiance avec les migrants qui arrivent dans un nouvel endroit à la recherche d’une toute nouvelle vie. Voici son histoire.
L’économie de la région était au point mort parce que les bergers — qui empruntent pendant la saison sèche pour pouvoir acheter des fournitures de base et remboursent pendant la saison des pluies — ne pouvaient plus honorer leurs dettes. Privés d’argent liquide, les marchands fermaient boutique.
Les donateurs et les organisations de secours, à la vue de ces rues désertes aux magasins fermés, nous demandaient : «À quoi bon distribuer de l’argent ici ? Il n’y a pas de marché.» Certains nous rirent ouvertement au nez. D’autres redoutaient d’employer de l’argent liquide dans un pays plongé dans le conflit, sans gouvernement central effectif et où de nombreuses régions étaient aux mains de milices armées.
Notre action au contact étroit de la communauté nous permettait de comprendre qu’une injection d’argent liquide revitaliserait la chaîne d’approvisionnement du marché et que, malgré les obstacles, la Somalie se prêtait étonnamment bien à un programme utilisant l’argent liquide à grande échelle. Nous savions que les marchands avaient toujours des biens à vendre, même si leur porte était temporairement close, et que le pays disposait déjà d’un système très développé d’envoi de fonds, facilité par des sociétés de transfert.
Finalement, Oxfam Novib, aux Pays-Bas, fournit les fonds permettant de distribuer 690 000 dollars des États-Unis à 13 800 ménages. Lorsque le projet arriva à son terme, une étude des Nations Unies conclut que les dons en espèces avaient été extrêmement efficaces en permettant aux personnes les plus vulnérables d’avoir accès à la nourriture et à d’autres articles de base disponibles sur le marché. Ce succès conduisit à une meilleure acceptation des transferts monétaires en Somalie.
Aujourd’hui, ces transferts sont un mode d’assistance répandu; presque toutes les interventions d’urgence y recourent. Utilisés à bon escient, ils peuvent relancer l’économie locale et contribuer à préserver la dignité des destinataires de l’aide. Toutefois, à l’heure où ce procédé prend soudain de l’ampleur, j’estime qu’il nous faut redoubler d’imagination pour placer les victimes au centre de nos interventions et pour donner des moyens aux institutions locales, qui aideront les habitants à devenir vraiment résilients à plus long terme.
Les transferts d’espèces devraient selon moi, avec le temps, être intégrés à des systèmes de protection sociale plus étendus, administrés, dans la mesure du possible, par les gouvernements. L’éventail diversifié de projets d’aide en argent liquide qui se multiplient partout dans le monde soulève des interrogations sur la protection des données et risque de saper le développement de systèmes de protection sociale solides à l’échelle nationale ou locale. Les données devraient, si possible, être collectées par les autorités locales et gérées de manière centralisée par les gouvernements, qui devraient adopter des lois et des politiques sur la protection des données. Ces systèmes pourraient ensuite être développés pour mieux réagir aux chocs, en montant rapidement en puissance en cas de crise ou en réduisant leur activité en fonction des besoins.
Il importe aussi de rationaliser le système fragmenté, redondant et dégradant d’enregistrement des bénéficiaires. Dans certains pays, les organisations ont collaboré pour dresser des listes de personnes, auxquelles elles remettent une carte, acceptée par de nombreux organismes. La pratique est toutefois loin d’être universellement répandue dans les crises internationales. Si elle l’était, les organismes d’assistance pourraient libérer du personnel pour des tâches plus utiles afin de faire face à des problèmes plus profonds et systémiques.
À bien des égards, les transferts monétaires stimulent le débat sur ces questions et sur d’autres, liées aux contacts entre les agents humanitaires et les personnes qu’ils souhaitent aider. Nous savons depuis des années, par exemple, que les importations massives de produits de base peuvent avoir un effet important, et parfois négatif, sur les marchés locaux. Or, les subventions de l’aide alimentaire, dans les pays donateurs, n’incitaient pas à changer la donne. Aujourd’hui, les transferts d’espèces nous contraignent à réfléchir aux répercussions sur les marchés avant même d’intervenir. Ils nous poussent aussi à améliorer les outils d’évaluation et de suivi utilisés pour décider qui doit être aidé, afin de garantir que nous venons réellement en aide aux plus vulnérables.
En dernière analyse, cette révolution de l’aide en argent liquide pourrait aussi aider les organisations locales, qui ont une meilleure connaissance des marchés, à jouer un rôle plus important pour aider les communautés à gagner en résilience. Cependant, l’argent liquide à lui seul ne modifiera pas les rapports de pouvoir propres au système d’assistance, qui entravent l’innovation locale. Pour que les choses changent vraiment, il faut que les programmes d’aide en espèces soient perçus comme une occasion de remettre en question nos idées reçues, de favoriser l’autonomisation des personnes que nous cherchons à aider et de susciter des innovations authentiques, plutôt que de simplement remplacer l’aide d’hier — le riz, les bâches et les ustensiles de cuisine — par des billets de banque multicolores, des cartes en plastique et des distributeurs de billets.
Photo : African Development Solutions
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